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Une vision alternative…
Les mots entraînent parfois une confusion des idées et, par ricochet, des esprits. Le terme de « développement agile » fleure bon le jargon informatique et semble dénoter une vision purement formaliste, voire « froide », de la chose. Il n’en est rien. Pour le comprendre, il suffit de revenir aux bases de cette démarche, telles que les pose le manifeste agile (agilemanifesto.org) rédigé en 2001 par les « anarchistes organisationnels ». Quelle vision réunit ces développeurs, concepteurs des méthodes itératives Scrum et Extreme programming ? Écoutons-les :
« En pratiquant et en aidant les autres à pratiquer, nous découvrons de nouvelles façons de développer des logiciels. Grâce à ce travail, nous en sommes arrivés à considérer :
• les personnes et leurs interactions plus que les processus et les outils,
• un logiciel opérationnel plus qu’une bonne documentation,
• la collaboration du client plus que la négociation contractuelle,
• la réponse aux changements plutôt que le suivi d’un plan.
Autrement dit, si les items sur la droite sont importants, nous donnons encore plus de valeur à ceux de gauche ».
… adoptée par de grandes entreprises
Cette vision n’est pas une utopie. Le développement agile est une réalité au sein d’entreprises aussi diverses que Thalès, Orange Business Service, Yahoo !, Astria, Odyseey, Sodifrance, EDF. Leurs motivations ne sont pas toujours humanistes au départ (elles le deviennent de fait par la suite) ; parfois simplement pragmatiques : deux tiers des projets informatiques conduits selon des méthodes productivistes aboutissent à un échec !
Les raisons sont connues : lourdeur des processus, inadaptation des cahiers des charges, inflation des délais de réalisation et des budgets… Et, cerise sur le gâteau, sur-stress, démotivation et manque de reconnaissance des informaticiens ; déception des utilisateurs, avec des logiciels inadaptés à leurs besoins et leurs usages.
Recréer le liant humain
L’éthique inhérente au développement agile fait justement en sorte d’aller à l’opposé de ce gâchis humain (et financier). L’agilité implique de procéder par cycles courts et par aller-retour entre développeurs et utilisateurs. Le cahier des charges est remplacé par la validation continue de l’outil en cours d’élaboration. L’agilité implique également la mise en relation directe des équipes de développement, ne serait-ce qu’une fois en début de projet si celles-ci sont réparties entre l’Europe, l’Amérique, l’Afrique, l’Asie. Une fois ce liant humain créé, les personnes communiquent plus facilement, par points téléphoniques quotidiens. On ne s’adresse pas à un opérateur lambda en France, en Inde ou au Brésil. On parle à la personne que l’on a rencontrée. Et cette différence change tout.
Pour parvenir à cette situation qui améliore la condition des développeurs comme des utilisateurs, il est indispensable de procéder par un développement progressif des méthodes agiles au sein de l’entreprise, sans imposer de « big bang ». De nouveau, l’agilité place l’être au centre des préoccupations. Hors de question donc d’imposer un changement sans concertation ni sensibilisation préalables. Comme dans l’approche Lean Manufacturing, l’essentiel est de bien poser les enjeux et les objectifs à atteindre, de façon collégiale. Le soutien de la direction générale est également indispensable, car les cadres intermédiaires se posent souvent des questions sur leur devenir dans ce nouvel environnement agile où les équipes s’auto-évaluent et s’améliorent d’elles-mêmes.
Un choix de société
Quand les organisations font le choix de l’autonomie, de la responsabilisation et de l’humain, la façon de penser et de pratiquer l’informatique change. C’est une transformation culturelle plus que technique. Face au productivisme où la fin justifie tous les moyens – même les plus irresponsables –, l’informatique durable incarnée notamment par le développement agile engage ceux qui la pratiquent, la consomment, et au-delà, la société tout entière. Le choix nous appartient, ici et maintenant.
* Thierry Cros travaille depuis vingt-cinq ans dans le développement informatique, et depuis dix années selon l’approche « agile ». Il intervient comme formateur Orsys, consultant et accompagnateur auprès de directions générales, métiers et informatiques.
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